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Lecture pour le PAI2019 #4
19 août 2020
En tant que jurée du Prix des Auteurs Inconnus 2019, j’ai participé en début d’année à la sélection des cinq livres en lice dans la catégorie de la littérature « blanche », que je lis au rythme d’un par mois depuis mai. Le prix sera décerné en décembre.

Ce prix est très exigeant : nous sommes onze à lire ces romans et à les chroniquer sur nos différents réseaux. Nous avons déjà commencé à les adorer, à les détester, voire à être indifférentes, et surtout, nous disons pourquoi - onze fois pour chaque livre. A la fin, nous élirons celui qui aura emporté le plus grand nombre d’entre nous.

L’exercice est passionnant… et je m’y livre pour la quatrième fois aujourd’hui au sujet de Danse, danse, montagne agile, de J.-F. Leger.

Cet auteur a vécu de multiples vies et écrit trois romans auto-édités. Danse, danse, montagne agile, est le plus récent. C'est un roman dont le ressort me captive : une quête qui est simultanément celle d'un secret qui remonte au Moyen-Age, et de mystères familiaux. Hélas, je n'ai pas réussi à entrer dans l'histoire... mais je pense avoir compris pourquoi, et je vous l'explique dans mon analyse !

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Danse, danse, montagne agile, est le quatrième livre que je lis dans le cadre du Prix des Auteurs Inconnus 2019. C'est un roman dont le ressort me captive : une quête qui est simultanément celle d'un secret qui remonte au Moyen-Age, et de mystères familiaux. Hélas, je n'ai pas réussi à entrer dans l'histoire... mais je pense avoir compris pourquoi, et je vous l'explique !

➡➡Ni la team Dan Brown, ni la team Umberto Eco...⬅⬅

Danse, danse, montagne agile, est un livre dont le titre évoque des univers qui font forcément envie : La montagne magique de Thomas Mann, ou l'étoile qui danse de Nietzsche (vous savez, celle qui nécessite du chaos en soi). Des références prestigieuses... mais qui placent d'emblée la barre très haut.

Ensuite, sa couverture nous indique qu'il sera question d'ésotérisme, donc de recherche de sens, de recherche d'ordre derrière le désordre apparent. Et là, c'est quitte ou double : soit le livre s'engage dans la voie ouverte par le Da Vinci code (on court après un graal, et quelques centaines de pages et de péripéties rocambolesques plus loin, chouette, on le trouve !), et je passe mon chemin ; soit il s'engage dans la voie ouverte par Umberto Eco dans Le pendule de Foucault (on court après un graal, mais le propre d'un graal... c'est que c'est la quête qui compte, pas l'objet), et là, je me précipite.

Eh bien ce n'est ni l'un ni l'autre... oui, on court après un graal, et oui, on trouve quelque chose qui est enraciné dans un savoir antique (team Da Vinci code), mais non, ça n'a pas de forme suffisamment précise pour qu'on puisse réellement dire que la fin du livre coïncide avec le moment où on l'a trouvé (team Pendule de Foucault) ; pour autant, il n'y a pas de secret à gros enjeu farouchement caché qu'il s'agit de dévoiler (la team Da Vinci code s'éloigne), et il y a quand même une morale finale sur le sens que revêt une quête et son résultat (la team Pendule de Foucault s'éloigne aussi).

➡➡Une intrigue que je n'ai pas trouvée suffisamment crédible⬅⬅

Alors pour moi, l'intérêt de cette intrigue « entre deux » est que la quête est à la fois celle d'un secret qui remonte au Moyen-Age, et une quête personnelle, familiale, sur les traces d'un grand-père qui vient de mourir. Mais l'inconvénient... c'est ça aussi : car les raisons pour lesquelles ces deux quêtes peuvent être mêlées sont tout sauf crédibles.

Je vais essayer de donner des exemples sans spoiler le livre : le grand-père se trouve en possession d'un livre précieux parce qu'un parfait inconnu a reconnu en lui « l'intelligence du cœur » (comme ça, sur sa bonne mine) ; ses petits-enfants comprennent sans indices l'exact cheminement de leur grand-père (bien qu'il passe par une plongée détaillée dans des manuscrits qu'ils ouvrent sans les comprendre), tout en entreprenant le voyage qu'il s'est bien gardé d'envisager (mais pourquoi donc ?).

Et il y a bien d'autres éléments que j'ai trouvés difficiles à croire : la vie d'Hippolyte, autodidacte plongé dans des recherches érudites, ne me paraît pas crédible ; l'histoire de Tiphaine et Orlando, encore moins (un coup de foudre basé sur un processus lent de communion d'esprit ? Pourquoi pas, mais alors, pas sans obstacles) ; la manière dont les jeunes gens cherchent à déchiffrer les manuscrits, pas plus ; leur état d'esprit à la fin, toujours pas... L'enchaînement des événements est trop facile, les réactions des personnages secondaires trop faciles (ils ouvrent et dévoilent exactement ce qu'il faut aux jeunes gens au moment exact où ils débarquent, en plaçant éventuellement quelques obstacles savamment contrôlés sur leur route), bref tout m'a paru invraisemblable.

➡➡Show, don't tell... et non pas l'inverse !⬅⬅

Pourtant, je pourrais tout à fait imaginer une chronique du même livre où non seulement, rien de tout cela ne serait incohérent, mais même, ce serait enthousiasmant : si un hasard de la vie met un manuscrit sur le chemin d'un homme, quel que soit ce hasard, et que cet homme transforme ce hasard en destin, c'est un magnifique point de départ ! Si un grand-père cultive un jardin secret toute sa vie, et décide d'offrir à ses descendants le même cadeau que le riche laboureur de la fable à ses enfants, c'est excellent ! Si les jeunes gens suivent un chemin sur lequel se trouvent des gens qui « ne les attendaient pas, mais les espéraient », je suis prête à me passionner ! Alors qu'est-ce qui n'a pas fonctionné pour moi ?

Il me semble qu'une partie de l'explication réside dans le fait que l'auteur ne nous laisse jamais faire un plongeon empathique dans son histoire, ne nous donne jamais l'occasion de nous identifier aux personnages, mais nous décrit tout systématiquement en surface : là, ils firent ceci, là, ils ressentirent cela, et ensuite, ils apprirent cette chose. Un peu comme s'il avait systématiquement cherché à « tell » et jamais à « show ». « Show, don't tell », ce truc d'écriture qui est présenté comme la base des techniques modernes, me rend parfois dubitative : je ne voudrais pas que cela serve à exclure toute écriture des profondeurs, en proposant de décrire systématiquement les apparences qui amènent le lecteur à ressentir ce que l'auteur veut qu'il ressente, plutôt qu'à lui en dire plus sur les coulisses. Mais de toute évidence, si un livre est entièrement écrit en « tell », il lui manque quelque chose... J'ai fini par me dire qu'entre « show » et « tell », la différence est la même qu'entre une pièce de théâtre dont la représentation consisterait à lire le texte avec les didascalies, et une pièce de théâtre jouée : le choix est vite fait... et hélas, Danse, danse, montagne agile, me semble appartenir à la première catégorie.

➡➡Quelques incohérences, mais un livre bien écrit⬅⬅

Dans le cadre d'une lecture pour le PAI, je me dois de signaler qu'il y a quelques incohérences dans le livre, la plus gênante étant que Hippolyte est censé être né entre-deux-guerres, alors que c'est plutôt à la fin du 19ème siècle puisqu'il est mobilisé dans une guerre qui ressemble furieusement à la première guerre mondiale. Cela a entravé ma lecture : j'ai supposé que la partie contemporaine de l'histoire se passait de nos jours et que Hippolyte avait fait son service militaire en Algérie après la seconde guerre mondiale, et c'est seulement à force de relever des indices qui me disaient que ça ne collait décidément pas, que j'ai fini par me faire à l'idée que c'était normal que les petits-enfants n'aient pas de téléphone portable ni de réflexe Google. Disons que cela désoriente, sans être bien grave : le livre est bien écrit et bien fini. Mais pour moi, ça n'aura pas suffi...

Qu'en pensez-vous ?