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Parcours inspirant #14 : Marale Rostaing
18 octobre 2020
Marale Rostaing est une jeune auteure française d'origine iranienne, qui a auto-édité pendant le confinement un premier roman qui est une véritable pépite, Ce dont les montagnes se souviennent.

Il s'agit d'un court récit familial, qui restitue les souvenirs d'enfance de sa mère dans le Téhéran des années 1960. Un des éléments qui m'a beaucoup troublée à la lecture est que j'étais face à une impossibilité : l'auteure ne peut manifestement pas appartenir à cette génération, mais les souvenirs, relatés à la première personne, sont transmis comme si c'étaient les siens. C'est donc un trouble que nous avons évoqué dans l'interview qu'elle m'a accordée pour déjàlu.fr. La manière dont elle en parle est particulièrement riche de sens et m'a autant bouleversée que son livre : le discours qu'elle tient sur son rapport à la littérature l'éclaire et le met formidablement en perspective.

Marale a également parlé de son expérience de l'auto-édition. Elle est passée par une solution que je connaissais mal, « jepubliemonlivre ». Découvrez la manière dont elle partage avec nous ses inconvénients et ses avantages !

Marale, parlez-nous un peu de vous !


Je suis née et j’ai grandi en France dans les années 80.


Mes parents venaient d'Iran, et durant les premières années de ma vie, ils pensaient que la révolution islamique ne durerait pas et qu’ils retourneraient un jour vivre dans leur pays d'origine, alors ils n’ont pas vraiment cherché à s’enraciner sur le sol français.


Ils ont donc vécu comme si notre situation en France était provisoire et que notre futur nous attendait là-bas, et durant mes premières années de vie, j’ai vécu moi aussi avec ce sentiment.


En 1986, ils sont retournés avec mon petit frère de six mois et moi-même en Iran, pour y rester définitivement.


Mais lors de ce retour en Iran (j’avais alors quatre ans), le choc a été immense pour eux car ils n’ont pas reconnu leur pays.


Les rues avaient toutes été renommées de noms de martyrs. Les gens se cachaient pour mener ce qui était considéré comme une vie normale en Occident car la police des mœurs était extrêmement dure dans l’application de la loi islamique, on pouvait même être mis en prison pour une simple mèche de cheveux qui dépassait d’un voile. Quel choc alors que quelques années avant, ma mère prenait la pose en mini jupe avec ses camarades d’université !


Lors de ce voyage, mes parents ont compris que le pays qu’ils avaient connu ne vivait plus que dans leurs souvenirs et était irrémédiablement perdu pour eux. Et ils ont également compris qu’ils ne pouvaient absolument plus rester en Iran. Lors du départ pour la France, quelques mois après notre « retour », ma grand-mère maternelle a dit à ma mère de les oublier et de faire désormais notre vie de notre côté.


C’est après ce voyage que mes parents ont décidé de faire leur vie en France, et de demander la nationalité française. Cela n’allait pas forcément de soi car l’Iran n’acceptait pas à l’époque la double nationalité et de fait, il devenait très difficile pour nous de retourner en Iran même pour rendre visite à la famille. Mais c’était le prix à payer pour pouvoir plus facilement travailler et s’intégrer. Peut-être que j’ai de mon côté trop assimilé cette volonté d’intégration, car pendant longtemps, je rejetais systématiquement en bloc tout ce qui avait trait de près ou de loin à l’Iran.


En effet, je ne me souviens pas clairement de tout bien sûr, mais durant mon enfance, les coups de téléphone et le courrier venant d’Iran faisaient toujours pleurer ma mère, alors l’Iran a longtemps pour moi été uniquement synonyme de tristesse et de perte. Pendant des années, je n’ai rien voulu entendre de ce pays et j'ai longtemps été assez distante avec ma famille restée là-bas, mais depuis quelque temps, je me questionne sur la part de moi qui est iranienne.


En remontant le fil de mon histoire, ainsi que celle de ma mère, mon sentiment de rejet a laissé place à une curiosité parfois encore timide, mais qui se nourrit à la fois des souvenirs de mes parents et de la littérature persane.


A quelle littérature persane pensez-vous ?


Il y a quelques années, ma mère m’a prêté Un jardin à Téhéran de Shusha Guppy, et alors que jusque là, je ne m’intéressais absolument pas à cette littérature, la couverture, qui représente un tapis persan, une œuvre à la fois figurative et abstraite, m’a attirée et j’ai été profondément bouleversée par ce livre. Ce livre a marqué pour moi un tournant dans ma découverte de la littérature persane. L’auteure y raconte avec une très belle plume l’histoire de sa famille en Iran dans les années 30 et j’ai aimé m’immerger dans cette époque que mes grands-parents avaient connue. Je l’ai relu il y a quelques semaines et j’ai ressenti le même plaisir qu’à ma première lecture.


Dans le même style, il y a Les jardins de consolation de Parisa Reza, l’histoire d’un couple de bergers dont on partage l’existence durant les années 20 à 50 et dont le fils s’élèvera dans la société de Téhéran par l’éducation. Dans les livres plus classiques, j’aime beaucoup Le livre des Rois de Ferdowsi, qui est une sorte de long poème épique, décrivant la gloire et la chute de grands rois et héros depuis la création du monde jusqu’à l’invasion arabe de l’Iran au milieu du VIIème siècle.


Mais j’aime lire de tout, aussi bien du classique que du contemporain tant que la plume est belle. J’ai beaucoup aimé récemment Les déracinés de Catherine Bardon, où l’on suit sur une trentaine d’années, la vie d’un jeune couple autrichien, fuyant la folie nazie : c’est une histoire d’exil et de renaissance, qui résonne par rapport à mon histoire personnelle.


Parmi les classiques français, j’aime énormément Le Grand Meaulnes, car je trouve qu’il y a imprégnée dans ce roman une ode poétique au temps qui passe et qu’on ne rattrape jamais, ainsi qu’aux occasions manquées, qui m’émeut profondément.


Ce sont des auteurs édités. Lisez-vous aussi de l'auto-édition ?


Je suis plus édition classique car ce sont plutôt des ouvrages édités classiquement que l’on trouve en bibliothèque, lieu où je m’approvisionne principalement en livres. Je n’ai pas d’auteur fétiche, car je m’attache plus aux livres qu’aux auteurs, qui doivent de mon point de vue, rester un peu dans l’ombre de leur roman, afin que le lecteur puisse s’approprier au mieux l’histoire.


Et comme j’aime déambuler dans les rayons des bibliothèques et librairies et me faire happer par un titre ou une couverture, je lis essentiellement des livres papier.


Aujourd'hui c'est vous l'auteure, d'un livre qui parle de vos origines iraniennes.


Ce livre est une histoire familiale, l’histoire de la famille de ma mère dans les années 60 à Téhéran. Quand mes grands-parents maternels sont morts il y a quelques années, ma mère m’a raconté plus de choses sur leur vie et j’ai voulu en faire un livre. Il m’a semblé que quelque chose d’important allait définitivement disparaître avec eux si je ne transmettais pas leur histoire, et j’ai commencé à écrire à ce moment-là.


Ma mère m’a beaucoup aidée dans la rédaction de ce livre, en partageant avec moi les histoires de sa jeunesse. Nous avons pleuré ensemble et nous avons ri aussi.


Il est vrai qu'en vous lisant, j'ai été très troublée car je n'arrivais pas à décider s'il s'agissait d'une autobiographie personnelle ou familiale : le pouvoir évocateur du livre est très fort.


Je sais que dans certains courants de psychanalyse, on encourage le patient à prendre le temps de mettre sa souffrance par écrit. Ce n'est pas exactement ce que j'ai fait, mais travailler sur ce livre m’a permis d’aller encore plus loin : oser poser des questions à ma mère et de mettre des mots sur certaines zones sombres et douloureuses de notre histoire. Cela a renforcé nos liens et notre relation est aujourd’hui plus apaisée, alors que nous avons eu tant de désaccords pendant mon adolescence.


Je ne peux pas dire aujourd’hui si je suis plus française ou plus iranienne car je suis à la fois et en même temps iranienne et française.


Mon questionnement se poursuit encore aujourd’hui, mais j’ai néanmoins appris à faire cohabiter ensemble ces deux pays dans mon cœur.


Si dans quelques années, mes enfants se posent des questions sur leurs racines de l’autre bout du monde, j’espère que ce livre pourra les aider aussi à avancer dans leur cheminement. Je crois beaucoup au fait que nos enfants héritent de nous en bien comme en mal, et que donc nous leur transmettons à la fois notre amour mais aussi nos manques : alors j’espère que ce livre leur permettra de combler au moins en partie, leur besoin de sens et de substance.


Ce livre est écrit à la première personne, mais en fait, il s'agit des souvenirs d'une autre que vous. Peut-on dire qu'il est autobiographique ?


C'est une sorte d'autobiographie familiale. Et puis la plupart des événements relatés dans ce livre sont véridiques, mais certaines choses peuvent être comprises comme des métaphores. J’ai voulu emmener le lecteur s’asseoir sur le grand tapis déployé dans le jardin familial et partager un « chai » avec les membres de ma famille et j’espère de tout cœur que ce voyage plaira à celui qui le lira.


Oui, il y a des souvenirs très précis dans le livre. Certains concernent l'éducation cinématographique d'Azam, qui se débrouille pour aller voir des films d'horreur ! Finalement, vous, quels univers vous inspirent ?


En effet, il n'y a pas de raison pour que ma seule source d'inspiration soit l'Iran : je suis une lectrice éclectique, aux univers multiples. J’aime beaucoup le fantastique et le surnaturel, et je suis fascinée par l’exploration spatiale, alors les univers de Ray Bradbury et d’Asimov me plaisent beaucoup. J’aime beaucoup les contes aussi, qu’ils soient européens ou orientaux : je les aime d’une part parce qu’ils ont été racontés de bouche à oreille bien avant d’être retranscrits par écrit et de nous parvenir enfin à nous, ils constituent de ce fait une part importante de notre héritage humain et je les aime aussi car il y a quelque chose de poétique et d’universel dans ces histoires qui m’interpellent énormément.


J’aime particulièrement l’histoire des trois princesses qui veulent se marier. Le roi leur père, leur offre alors trois pommes d’or et demande à tous les jeunes hommes du royaume de venir se présenter dans les jardins du palais. Les deux premières jeunes filles lancent de façon avisée leurs pommes d’or, qui s’arrêtent pour l’une devant le fils du vizir et pour l’autre, aux pieds du fils du premier conseiller. La benjamine, en revanche, s’en remet au hasard et ferme les yeux en lançant sa pomme, qui roule jusqu’à une pierre de sous laquelle émerge un serpent.


Elle épouse donc le serpent, mais à la nuit tombée, sa peau tombe et c’est un magnifique jeune homme qui se présente à elle pour sa nuit de noces. Ils tombent amoureux et l’homme serpent lui fait jurer de ne jamais toucher à sa peau de serpent car il ne pourrait rester auprès d’elle, sans cette peau qu’il doit revêtir tout le long du jour.


Mais ses sœurs, jalouses de cet amour, elles qui ont fait le choix d’un mariage de raison, lui conseillent de brûler la peau de serpent, afin que son mari reste humain le jour comme la nuit. La benjamine, influencée par le discours de ses sœurs, finit par brûler la peau de serpent, alors que son mari dort dans leur lit.


Ils seront alors séparés et mille aventures attendent la jeune fille avant de pouvoir retrouver celui qu’elle aime. J’aime à comprendre cette histoire comme le fait que l’amour seul ne suffit pas et qu’il faut beaucoup de courage et de persévérance pour surmonter les épreuves de la vie, petites ou grandes, même si l’on aime profondément la personne avec laquelle on partage sa vie.


Avec des références aussi variées que l'autobiographie et les contes, les films d'horreur et les livres de science-fiction... de l'univers de quel auteur aimeriez-vous qu'on vous dise proche ?


Je n’aime pas beaucoup les comparaisons car de mon point de vue, chaque plume reste unique. Ceux qui ont lu mon livre sont sans doute les plus aptes à répondre à cette question et ont trouvé des similitudes avec Persépolis de Marjane Satrapi, que j’ai personnellement beaucoup aimé. Sans doute que le personnage de Marjane enfant fait penser à celui d’Azam, dans mon livre, car ce sont deux petites filles puis jeunes filles qui sont malicieuses et dégourdies. La relation que Marjane entretient avec sa grand-mère est semblable également au lien fort et tendre qui lie Azam et sa grand-mère Aziz. De ce que j’ai pu comprendre à travers son œuvre, Marjane Satrapi a dû vivre dans une famille moderne et cultivée de Téhéran donc les thèmes concernant l’éducation, les liens avec l’Europe, les relations avec les parents, les amis, etc … sont forcément proches de ceux décrits dans mon livre.


Si un jour, il se trouvait des lecteurs qui comparaient mon livre au roman Un jardin à Téhéran : Une enfance dans la Perse d'avant-hier, de Shusha Guppy, je serais également très heureuse, car à mes yeux, ce roman est infiniment bien écrit. Il raconte l'enfance et la jeunesse d'une fille du même milieu qu'Azam et Marjane, dans les années précédant la révolution islamique.


Vous avez auto-édité Ce dont les montagnes se souviennent. Pourquoi ce choix ?


J’ai voulu sortir mon roman pendant la période du confinement et aucune des maisons d’édition classiques que j’ai contactées ne m’a répondu positivement, donc le choix s’est imposé de lui-même, car je voulais absolument que mon roman soit lu. Mes grands-parents maternels sont déjà morts mais des membres de ma famille qui ont vécu les événements relatés dans ce livre, sont toujours en vie et je voulais qu’ils sachent que leur histoire serait lue et partagée avec d’autres.


Par quelle solution êtes-vous passée ?


Je suis passée par le site « jepubliemonlivre » (https://jepubliemonlivre.chapitre.com/) car j’avais vu de bons échos sur Google. J’avais également vu que le siège social se situait à Paris et que l’impression se faisait en banlieue parisienne, donc cela m’a plu de faire travailler des gens localement aussi.


J’en suis très satisfaite car j’ai eu affaire à une personne très réactive par mail pendant toute la période de préparation et mise en page du livre. Ils ont procédé à l’enregistrement de mon livre puis l’ont distribué sur les plateformes de vente classiques en format électronique et en format papier. L’impression du livre se fait à la demande, donc cela était cohérent aussi avec le « Less is more » que j’essaye d’appliquer chaque jour.


Le seul regret que j’ai est par rapport à la couverture, car j’aurais aimé mettre une photographie de ma mère enfant, mais cela faisait monter les frais de façon conséquente et je suis donc restée sur une couverture blanche très sobre. Mais peut-être pour une prochaine édition !


Par contre, ils n’ont pas de lien avec les maisons d’édition classique et je pense que pour un prochain roman, j’essayerai Librinova (https://www.librinova.com), dont j’ai aussi entendu parler en bien.


Quels conseils donneriez-vous à un auteur qui souhaiterait s'auto-éditer ?


Je pense qu’il y a deux aspects du coup, pour l’auteur qui s’auto-édite. Il y a la phase de rédaction du livre et ensuite la phase de commercialisation du livre. Si l’on passe par une maison d’édition, c’est elle qui s’occupera de contacter chroniqueurs et presse. Si l’on s’auto-édite, il faut s’en occuper soi-même.


Il faut donc du temps et de l’énergie à consacrer à cette phase de publicité.


Pour ma part, j’ai contacté sur Babelio, des lecteurs qui aiment la littérature persane ainsi que les récits. J’ai également utilisé le site SimplementPro (https://simplement.pro/), qui met en contact des chroniqueurs qui acceptent de lire le roman et de donner leurs avis sur des sites marchands ou des sites spécialisés comme Babelio, Gleeph, Livraddict, etc…


Il est possible aussi d’utiliser Instagram, Facebook, Linkedin pour prévenir son entourage de la publication de son ouvrage. Ce sont des sites que j’ai également utilisés.


Je ne connaissais pas déjàlu.fr, mais je sais maintenant que c'est aussi un réseau sur lequel un jeune auteur peut s'appuyer. Cette interview permet de relier mon livre aux livres que j'aime, pour faire venir à mon livre les lecteurs qui les ont également aimés : c'est riche de sens !