Club livresque
TEXTE
1145
avatar
Parcours inspirant #13 : Gaston Marie
28 septembre 2020
Gaston Marie n'a que 30 ans, mais il a déjà plusieurs vies : médecin cancérologue, auteur d'un premier roman auto-édité, et complice de Vanessa, graphiste, avec qui il a créé sur instagram le compte « croquis littéraires » qui réunit plusieurs milliers d'abonnés.

Son premier roman, Un battement d'elle (Librinova), est très original, très personnel : il mêle ses références de médecin confronté à la mort des autres et les rêves du jeune homme qui en refuse l'absurdité. Je ne vois aucune raison pour qu'un tel livre n'intéresse pas un éditeur, mais son auteur dit lui-même très clairement : « c'est un texte auquel je tiens tout particulièrement », si bien que « je l'ai tout de suite auto-édité car j’aimais mon histoire profondément telle qu’elle était, que je l’avais beaucoup fait lire, et que j’avais peur que l’on me demande de modifier trop de choses, que l’on retire sa substance vitale... »

Somme toute, c'est la tentation de l'indépendance... mais pas que : découvrez le parcours de Gaston Marie dans une interview où il partage tout autant son univers que son expérience dans l'auto-édition.

Qui es-tu, Gaston Marie ?


Bonjour Marceline, déjà je souhaite te remercier devant tous de ta bienveillance et de l’intérêt que tu portes aux auteurs de tous horizons. Merci infiniment. Ensuite je me nomme Gaston Marie, j’ai trente ans et je suis cancérologue en région parisienne. Vous ne me trouverez pas sur google en tant que médecin, car il s’agit d’un pseudonyme en hommage à mes grands-parents Gaston et Marie, et aussi pour éviter de mélanger mes deux mondes. J’ai eu la chance de naître dans une famille atypique qui m’a construit autant qu’elle m’a apporté bonheur et non-conformisme. J’ai toujours eu envie de penser au dérangeant, à l’anormal, de voir ce que dit l’ombre d’un objet exposé un soleil.


Je suis aussi le créateur du compte Croquis_litteraires sur Instagram, dans lequel je raconte de petites histoires du quotidien qui sont maintenant illustrées avec brio par Vanessa, la femme merveilleuse qui m’accompagne dans la vie. Nous avons la chance d’avoir une communauté exceptionnelle qui ne me fait regretter aucune minute passée sur ce réseau.


Médecine, écriture, illustration, c’est déjà un cocktail très original. Sans en dire trop sur ton livre, le héros, Clément, est un jeune médecin dont on suit les hésitations dans le choix d’études. Comme toi, il choisit la médecine, et comme toi, il écrit… as-tu aussi connu cette hésitation atypique, entre médecine et littérature ?


Très bonne question, on dit souvent que lorsque l’on écrit un premier roman, on écrit beaucoup sur soi.


Concernant la médecine je n’ai jamais eu aucune hésitation depuis mes 10 ans où, après un cours sur les os humains, j’ai écrit dans mon cahier de cours que je voulais devenir médecin.


Ensuite, plus jeune, je me suis très peu intéressé à la littérature, j’étais mauvais en français, mais j’avais un imaginaire débordant…


Mauvais ? Sans doute avais-tu surtout du mal à canaliser cette imagination !


Oui je n’étais pas du tout bon à l’école, je rêvassais beaucoup et d’ailleurs mes professeurs me disaient que je rêvais un peu fort lorsque je leur disais que je voulais devenir médecin ! Quelques petites aventures laissaient toutefois imaginer que je pourrais un jour écrire, comme la fois où j’avais commencé à écrire une fiction que j’avais montrée à ma professeure de français. Mais jamais je n’ai réellement pensé à faire des études de lettres. Aujourd’hui, c’est différent, je ne serais pas contre suivre des études littéraires ou des cours du soir de philosophie en plus.


En ce qui concerne Clément, c’est certain que ma propre histoire recoupe parfois celle du personnage, cependant nous avons beaucoup de différences que je ne vais pas dévoiler ici !


Il faut dire aussi que tu n’es pas le premier médecin qui écrit : je pense à Martin Winckler, Baptiste Beaulieu ou encore Patrick Pelloux… T’ont-ils inspiré, ou fourni un modèle ? Ou au contraire, l'histoire de Un battement d'elle est-elle uniquement ancrée dans l’obligation que tes études t’ont faite de te confronter à la mort des autres ?


Ils n’ont pas été directement des modèles car je ne m’imaginais pas du tout écrire des histoires, mais j’ai lu quelques médecins et écrivains : pas ceux que tu cites, mais Rabelais, Céline et, plus contemporain, Jean-Christophe Ruffin, dont la biographie Un léopard sur le garrot m’avait beaucoup impressionné.


Mais je ne peux pas dire qu’ils m’aient inspiré, puisque je suis vraiment parti de ce que j’ai vécu. Je n’ai pas la sensation d’écrire car je veux écrire à tout prix, mais d’écrire car j’ai des histoires à raconter.


La confrontation à la mort, à ces vies qui apparaissaient, qui étaient denses, et dont la densité ne les empêchait pas de disparaître, a été pour moi un choc émotionnel.


Tu sembles avoir des lectures assez classiques.


C'est assez tard que je me suis mis à aimer lire. Je lisais bien quelques livres populaires comme Harry Potter ou des récits chevaleresques, mais c’est une rencontre amicale à l’âge de mes vingt ans qui m’a fait aimer la littérature dans son ensemble, et j’ai eu l’impression d’avoir un retard monstre sur tous ces mots déposés et ces histoires qui dormaient dans les librairies. Donc depuis 10 ans, j’ai essayé de lire tous les grands noms de la littérature mondiale, de Zola à Steinbeck en passant par Mishima et Dostoïevski. Entre temps et puisque je suis beaucoup de bookstagrammeurs, dès qu’un titre contemporain m’intrigue, je n’hésite pas à me le procurer (par exemple retour à Birkenau de Ginette Kolinka ou Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq, deux coups de cœur récents).


À côté de ça, j’aime aussi lire des essais et traités philosophiques, sociologiques ou encore anthropologiques (Tristes tropiques de Claude Levis Strauss, L’intelligence artificielle ou l’enjeu du siècle d'Eric Sadin, Sapiens et Homos Deus de Yuval Noah Hariri pour n’en citer que quelques-uns). Et je craque souvent sur des romans graphiques avec mon dernier petit coup de cœur pour Mémoires d’un frêne de Kun-woong Park . D’ailleurs, je reçois régulièrement La Revue dessinée, que je vous conseille à tous : des enquêtes très bien réalisées et illustrées.


Mais aussi, l’auto-édition est toujours peu visible, donc j’en achète lorsque je connais l’auteur ou lorsqu’il commence à faire du bruit. Et depuis que j’ai écrit mon roman, je prête encore plus attention aux romans et livres auto-édités, par exemple le livre de Julien Rampin : Grandir un peu !


L’auto-édition est indissociable du numérique. Est-ce que tu lis sur ce support ?


J’ai toujours aimé l’odeur du papier et le poids d’un livre, le poids des histoires. Avant un voyage, j’avais acheté une liseuse pour ne pas avoir à transporter une malle de livres, mais rapidement, lire sans tourner les pages m’a causé un manque. Je ne lis plus qu’en format papier désormais, ma liseuse est déchargée depuis longtemps. Un autre point qui me fait préférer le papier : j’adore offrir un livre que j’ai aimé pour qu’il ne finisse pas sa vie dans mon étagère et qu’il continue sa route !


Parle-nous de ton livre, Un battement d'elle.


Un battement d’elle n’était pas destiné à être un roman. Lors de ma première année d’internat, j’étais très touché par ces vies que je rencontrais, par l’histoire de ces humains, par leur détresse et leur force, et lorsque je rentrais chez moi, j’écrivais ce que je ressentais pour eux. Et une fois, j’ai fait une sorte d’exercice d’empathie, je me suis mis à la place d’une femme de 50 ans chez qui on découvrait un cancer du poumon et dont l’évolution n’était pas la meilleure, une femme confrontée prématurément à la mort. Là il devrait avoir un point final, mais je me suis dit : et après ? Cette expérience s’est traduite par le début de Un battement d’elle.


Pour ne pas vous dévoiler toute l’histoire, je ne vais pas plus en parler, mais c’est peut-être une histoire sur cette étincelle qui est entre les deux néants que sont la période précédant la naissance et la période après la mort, comme disait Nabokov. C’est peut-être aussi une réflexion sur cette question : peut-on apprendre à mourir ?


Quels univers t’inspirent ?


Quand j'étais enfant, je lisais peu, mais j'aimais quand même les livres de fantasy et de science-fiction, ceux avec des magiciens, des pouvoirs, des conquêtes et des combats entre armées. Cependant, j’ai le sentiment que l’univers poétique me transporte bien plus, pas forcément la poésie écrite, mais la poésie de la vie en général, une ombre ou une tache de café.


C’est difficile comme question, j’aime m’imprégner de tous ce qui s’offre à moi, comme j’aime goûter à tout lorsque l’on me propose une farandole de desserts.


Aujourd’hui j’adore lire des livres qui m’apprennent, qui me font réfléchir, restructurer ma pensée, me mettent dans la peau de minorités raciales ou sociales. J’aime les livres qui cognent ma raison ou qui me procurent des émotions fortes, que ce soit pleurs, frayeurs ou rires. Bien entendu, je continue à lire les classiques, car il y a souvent une façon de conter qui est une vraie leçon, je lis par exemple en ce moment Guerre et Paix de Tolstoï et la manière de décrire la guerre et les relations entre les individus est d’une précision, d’une minutie et d’une finesse rare aujourd’hui.


De l'univers de quel auteur aimerais-tu qu'on te dise proche ?


Un auteur dont j’ai adoré la multitude de facette, avec des chansons, du bagou, de la littérature poétique et forte en signification mais qui sait aussi écrire des histoires dures et froides : Boris Vian.


Dans un tout autre genre, il y a aussi un auteur dont j’ai lu tous les livres et qui est une référence absolue, c’est Irvin Yalom, le psychiatre et psychanalyste américain, qui a écrit des nouvelles, des romans, et des ouvrages théoriques qui autorisent la confrontation avec l’angoisse liée à la vie ou liée à la mort au premier plan. Le dernier que j’ai lu de lui, avec un grand plaisir et une passion sans bornes, est La méthode Schopenhauer, dans lequel on retrouve une vraie réflexion sur la mort et la manière de s’y préparer consciemment, et toujours en s’aidant d’une fiction.


Personnellement, j’aime l’idée qu’une histoire puisse aider autant le lecteur que l’auteur face à des questions insolubles. Peut-on dire « Je ne veux plus vivre » et imaginer que ce soit accepté dans nos sociétés occidentales ? Peut-on imaginer que d’une certaine façon, la mort ne soit pas un échec ? Les rêves correspondent-ils à un subconscient lié à la mort ? Ce subconscient, d’où viendrait-il ? Est-ce le mien, ou l’ai-je hérité d’autres personnes ? L’autre face à moi peut-il être plus proche que je le crois ?


Cet enchaînement de questions peut paraître abstrait, mais quand on a lu Un battement d’elle, on te suit très bien…


Après tout, dans certaines coutumes, les animaux ou insectes ne doivent pas être blessés car il s’agit peut-être d’aïeux réincarnés. Qu’y a-t-il après la mort ? Est-ce irrationnel d’imaginer une autre fin que celle du corps rongé par les vers ? Peut-on être dualiste dans une confrontation corps-esprit et se dire que oui, objectivement, le corps redevient poussière, mais cet immatériel esprit existe-t-il et peut-il aller quelque part ?


Ce ne sont pas des questions auxquelles je peux répondre en tant que médecin. Pourtant, je suis confronté à elles, et je peux les exprimer à travers la littérature. Dans Les thanatonautes, Bernard Weber s’amuse à imaginer ces explorateurs qui s’aventurent de plus en plus loin après la vie et qui dessinent la carte de cette après-vie. Dans Un battement d’elle, moi aussi, j’ai pris plaisir à dessiner les contours de cet inconnu.


Un battement d’elle est auto-édité. Pourquoi ce choix, quelle solution as-tu choisi ?


C’est une bonne question. Il y a un précédent dans mon histoire avec l’édition : j’avais essayé d’envoyer des manuscrits pour un précédent projet autour de mon compte instagram Croquis_littéraires. Sur une vingtaine d’envoi, je n’ai reçu que peu de réponses. Je me suis senti peu considéré, et je pense qu’envoyer son manuscrit à des maisons sans savoir à quel éditeur s’adresser n’est pas une bonne stratégie. Si c’était à refaire, j’essaierais de connaître le nom des éditeurs qui se sont occupés de livres proches du mien pour éviter qu’il ne reste lettre morte.


Mais pour Un battement d’elle, qui est un texte auquel je tiens tout particulièrement, ça s’est passé un peu différemment. Je l’ai tout de suite auto-édité car j’aimais mon histoire profondément telle qu’elle était, que je l’avais beaucoup fait lire, et que j’avais peur que l’on me demande de modifier trop de choses, que l’on retire sa substance vitale, que l’on m’incite à densifier certains points. Je ne dis pas que mon histoire est parfaite, mais je l’aime comme ça : je me suis donc naturellement tourné vers une autre solution, qui préserve mon indépendance tout en me laissant une chance d’être porté par des lecteurs puis repéré par un éditeur.


Je suis passé par Librinova, car j’ai trouvé qu’il y avait plusieurs offres intéressantes qui allaient de la mise en page simple et publication jusqu’à des relectures et réalisations de couverture de roman.


J’ai été déçu de certains services, mais très content d’autres ! J’ai pris un service de réalisation de la couverture, mais la couverture réalisée ne me convenait pas, probablement parce que c’était plus logique que ce soit Vanessa qui s’en occupe. J’ai également pris le service de relecture qui a vraiment été un plus avec un travail très bien exécute et très pertinent. Par contre, je n’avais pas réalisé que la correction consistait seulement en une licence du Robert correcteur : c’est utile, mais ce n’était pas ce que j’imaginais, c’était pourtant indiqué mais je n’avais pas bien lu !


Je pense que Librinova est une très belle entreprise d’auto-édition, avec des professionnels à l’écoute et disponibles rapidement en cas de problème. Ils ont deux autres avantages. Le premier, c’est qu’avec un certain niveau de ventes, ils proposent un service d’agent littéraire pour tenter de trouver un contrat avec une maison d’édition. Le second est le concours qu’ils réalisent une fois par an pour élire un livre qui se verra offrir ce contrat d’agent littéraire même s’il s’est vendu de manière confidentielle. L’idée me convient parfaitement car en tant que lecteur, je ne pense pas que la valeur d’un livre se mesure à la capacité de son auteur à le vendre : donc, en tant qu’auteur non plus !


Quels conseils donnerais-tu à un auteur qui souhaiterait s’auto-éditer ?


Dans un premier temps, lisez-vous, relisez-vous, faites-vous lire, et écouter les conseils que vos béta-lecteurs vous donneront. Ensuite si votre histoire vous tient à cœur et que vous ressentez la force de la défendre : foncez ! Je dis bien « la force » car c’est une épreuve d’endurance : vous ne serez pas seulement auteur mais aussi attaché de presse, relation lecteurs, relation libraires… Sans votre engagement, il est rare qu’un livre soit réellement visible. Donc écrivez des choses qui vous portent, qui vous portent suffisamment pour avoir la passion d’en parler avec des étoiles dans les yeux et de la chaleur dans chaque mot.


Comment un auteur auto-édité peut-il s'appuyer sur DejaLu.fr ?


Les lecteurs sont tout pour un auteur, et les communautés de lecteurs comme celle de DejaLu.fr sont une force inestimable, des amoureux de la littérature qui aiment partager leur ressenti et communiquer leur passion.


DejaLu.fr fait plus qu’appuyer les auteurs auto-édités : en parlant de nos livres, ils nous font exister en tant qu’auteurs et nos histoires peuvent prendre vie dans l’imaginaire de personnes que l’on n’avait jamais imaginé pouvoir toucher, même en rêve.