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Parcours inspirant #18 : Christelle Saïani
10 octobre 2021
Christelle Saïani est l’autrice d’un premier roman, Lumière, auto-édité chez Librinova.

Ce roman aborde le sujet du cancer d’une manière qui donne du sens à l’expérience de la maladie et de l’approche de la mort. Ce parti-pris m’a fait penser à La méthode Schopenhauer d’Irvin Yalom, et même à toute la philosophie existentielle du psychiatre américain puisqu’il s’agit de faire plus qu’apprendre à vivre sereinement avec l’idée qu’on va mourir : faire de cette idée le moteur d’une vie intense.

C’est aussi une fantastique ode à l’amitié et aux joies simples de la vie, et je suis très honorée que Christelle Saïani ait accepté de partager avec nous le parcours qui en est à l’origine. Pour défendre un roman aussi lourd de sens, elle a eu « toutes les audaces », confie-t-elle, si bien qu’il a déjà rencontré un très beau succès.

Découvrez cette interview particulièrement émouvante et pleine d’optimisme !

Avant tout, je tenais à vous remercier pour cette mise en lumière de mon roman et de mon activité d'autrice.

Merci à vous ! En vous présentant sur le site de Librinova, vous concluez « j'ai attendu longtemps avant de vous rencontrer ». L'écriture n'est pas votre métier : comment y êtes-vous arrivée ?


L'écriture n'est en effet pas mon métier, je me consacre à l'enseignement des très jeunes élèves depuis plus de vingt-cinq ans. Je n'ai jamais laissé de projet romanesque en dormance dans un tiroir. En revanche, j'ai toujours beaucoup lu, j'ai suivi un cursus littéraire et je suis une inconditionnelle des correspondances. Les mots sont ma passion. Le projet de Lumière est né d'une promesse faite à un être aimé.

Nous allons y revenir. Dites-nous en d’abord plus sur votre univers de lectrice : plutôt classique ou contemporain ? Plutôt numérique ou papier ?


Je suis une buveuse d'encre depuis toujours. Munie de ma paille, j'ai bu l'encre de tous les livres qui me tombaient entre les mains. J'ai des goûts très larges mais une préférence nette pour le genre romanesque. Ma bibliothèque compte plus d'auteurs classiques que contemporains mais je suis curieuse de toutes les plumes, y compris celles plus confidentielles d'auteurs auto-édités comme moi. Je suis également friande de bandes dessinées. Pour les romans contemporains, je me laisse plus souvent convaincre par les coups de cœur d'amis ou de membres de ma famille que par le battage médiatique.


Je partage mes coups de cœur littéraires sur Instagram et je glane des idées de lectures sur les comptes auxquels je suis abonnée. Sur Babelio, je lis très attentivement les billets de lecture de membres amis. Même si la sensualité du papier est pour moi incomparable, je me suis laissée convertir à la lecture 2.0. Je suis donc une lectrice papier occasionnellement "corrompue" par le numérique.

Quelles sont vos sources d’inspiration, de quel.le.s auteur.e.s vous sentez-vous proche ?


En tant que lectrice, je suis très attachée à l'évocation de l'intériorité des personnages. J'aime les romans intimistes et ceux qui s'ancrent dans la peinture sensible du quotidien, dans l'analyse du sentiment et de la relation, la description des sensations. J'aime les voyages intérieurs et les univers sensoriels, ressentir la magie du monde ordinaire. Je ne me sens pas proche d'un auteur en particulier... il y a en revanche de très nombreux écrivains que j'admire. En tant qu'autrice, mes sources d'inspiration sont les mêmes : la sensorialité est très présente dans Lumière, de même que la nature, le rapport aux autres ou à soi.


De nombreux lecteurs ont trouvé une parenté entre Lumière et Ensemble, c'est tout d'Anna Gavalda ou de fortes similitudes avec les romans d'Anna McPartlin. L'algorithme de Babelio me définit comme "proche" d'Eric-Emmanuel Schmitt, Anna Gavalda, Philippe Besson et Marc Lévy. C'est un grand honneur mais je ne me permettrais pas de faire moi-même ce rapprochement.

Lumière est votre premier livre. Parlez-nous de cette promesse faite à un être aimé qui a fait de vous un écrivain.


La genèse de ce roman est affective. J'ai écrit Lumière pour honorer la mémoire de mon meilleur ami, décédé très jeune et dont la hantise était d'être oublié. Un jour, j'ai décidé de figer dans un roman tout ce qu'il incarnait à mes yeux : l'attachement à la terre et au présent, la culture familiale, un tempérament solaire, l'amour de la nourriture, le sens des autres. Le personnage d'Olivier prenait forme... Ce projet littéraire m'a permis d'honorer ma promesse, garder vivante la mémoire de cet ami même s'il s'agit d'un roman.

Votre livre aborde le thème du cancer et ouvre la possibilité d'en faire non pas une maladie qu'on subit, mais une expérience que l'on peut intégrer à son chemin. Vous situez-vous dans un courant de littérature ou de pensée qui défend cette manière d'aborder les choses ? Y a-t-il un auteur dont vous aimeriez qu'on vous dise proche ?


Mon expérience me pousse à vous répondre que le cancer est avant tout une expérience subie. C'est une entrave sévère de la vie sociale, familiale, amicale d'un individu. C'est une épreuve très douloureuse sur le plan physique, émotionnel et moral. Cette maladie renvoie obligatoirement à l'idée de la mort, très inconfortable, l'un des plus grands tabous de notre société occidentale. J'ai accompagné plusieurs proches dans leur combat contre le cancer. Le rapport que chacun entretient à cette maladie diffère selon le pronostic, l'âge, la croyance, le niveau d'accompagnement dont le malade bénéficie au niveau familial et amical, ce qu'il a accompli. Toutefois, il est possible d'intégrer cette maladie à son chemin de vie et même d'en tirer une certaine force.


Lumière m'a permis de discuter avec de nombreux lecteurs en rémission ou touchés par la maladie d'un proche. Ce qui ressort souvent de nos discussions est le fait qu'un malade, même lorsque son univers physique et ses perspectives se rétrécissent, se définit avant tout comme un être en vie, pétri de désirs, soucieux de petits bonheurs. Beaucoup de malades en rémission m'ont dit à quel point le roman était juste et combien l'amour des proches avait été un moteur de leur volonté. Pour d'autres, le cancer a été l'épreuve qui les a conduits à redéfinir complètement leur vie : changement de vie amoureuse, professionnelle, apprentissage du lâcher-prise et de l'importance du présent.


Lumière ne se situe pas dans un courant littéraire, il est plutôt la somme d'expériences vécues indirectement. Personne ne peut préjuger de la manière dont il vivrait cette maladie, il est très complexe d'oser la mort face à soi. Axel Khan est certainement l'une des personnalités qui m'a le plus impressionnée dans ce rapport direct.

La montagne Sainte-Victoire joue son rôle dans le livre, comme dans votre vie, dites-vous. Lumière aurait-il pu avoir un autre cadre ? En quoi la marche, ou même l'ascension, jouent-elles un rôle spécifique dans l'histoire que vous racontez ?


Lumière est construit comme un huis-clos qui suit l'évolution de la maladie ; mais une fenêtre naturelle exceptionnelle, la Sainte-Victoire, apporte l'oxygène dont Olivier a besoin. Cette montagne constitue en quelque sorte le poumon naturel grâce auquel le personnage puise son énergie physique, mentale et une certaine forme de sagesse. Elle est le berceau naturel qui participe de son identité, qui l'aide à combattre, à se ressourcer, à accepter.


Ce massif a été l'obsession de Cézanne avec raison. Ses lignes de force, sa lumière en font un tableau idéal. C'est un lieu mystique qui interroge sur notre relation au monde, notre communion à ce qui nous entoure et à nous-mêmes.  C'est une cathédrale minérale, un lieu qui offre un sentiment d'appartenance : à Dieu pour un croyant, à une réalité transcendante, à une forme d'harmonie, à un tout qui amende et rend heureux pour un athée. La Sainte-Victoire a cette dimension spirituelle très forte, cette verticalité qui a trait au mystère.


En même temps, ce massif incarne l'attachement profond que nous avons tous à la terre qui nous voit grandir. C'est pour moi le lieu qui symbolise l'enracinement et le plaisir des sens. C'est un lieu d'efforts que l'on découvre bien chaussé ! La Sainte-Victoire était le seul cadre possible pour Lumière car c'est l'endroit naturel que j'aime le plus au monde. L'ascension physique du personnage lorsqu'il est en bonne santé laisse place à une ascension psychologique, une préparation morale au combat à mener, puis à une ascension spirituelle lorsque le personnage d'Olivier se sait condamné. Lumière est l'histoire de cette longue marche, de ce passage progressif d'une réalité aux autres.

Quand on découvre le roman, on ne peut pas savoir quelle en est la part vécue, dont vous venez de parler. Mais on sait que Lumière place l'amitié très haut : c'est là qu'on a envie qu'il y ait quelque chose d'autobiographique, ou du moins quelque chose de tiré de votre expérience... comment votre entourage a-t-il réagi en lisant votre livre ?


Merci beaucoup pour cette question. L'amitié est l'un des éléments autobiographiques de ce roman. L'ami qui m'a inspiré Lumière a été l'une de mes plus belles rencontres. Je devais mener ce projet à son terme pour lui dire à quel point il avait été important dans ma vie. Ce roman a nécessité un renoncement financier (je me suis mise à mi-temps pendant un an), une discipline quotidienne pour l'écriture et un accompagnement acharné d'un an et demi pour la promotion de l'ouvrage. Pour rendre hommage à cet ami, j'ai eu toutes les audaces, j'ai osé contacter blogueurs, chroniqueurs, libraires, je me suis retrouvée face à des cercles de lecteurs, j'ai distribué des flyers, placardé des affiches, démarché les salons. Je me suis lancée sur les réseaux sociaux, j'ai essuyé des refus, certains préjugés... sans que cela n'altère ma pugnacité. J'ai travaillé sans relâche à l'accompagnement du roman. Je suis fière de ce projet. Une amitié très puissante en est la sève, elle m'a permis de me mobiliser pleinement. Mon entourage m'a énormément soutenue et portée. Tous les proches de cet ami ont accueilli Lumière avec une émotion très puissante.

Ces efforts de promotion sont aussi ceux qu’exige l’auto-édition. Comment y êtes-vous venue ? Notamment, est-ce que vous lisez des auteur.e.s auto-édité.e.s ?

J'ai lu comme tout le monde des auteurs auto-édités : Proust, Hemingway, Tolstoï, Agnès Martin-Lugand, Cathy Bonidan... Certains sont beaucoup moins illustres et n'ont pas réussi à intégrer le milieu de l'édition classique mais ils font vivre chaque jour une passion des mots qui les lie à leurs lecteurs. Quelques auteurs autoédités talentueux rencontrent un jour le succès public qu'ils méritent. Tous ne deviennent pas des romanciers illustres ou des monuments du patrimoine littéraire mais je suis vraiment bluffée par la richesse de ces plumes confidentielles.


À titre personnel, je remercie vivement tous les lecteurs qui font le pari de découvrir de nouveaux auteurs, hors des sentiers battus de l'édition classique. Il faut être animé d'une certaine rage et armé de courage pour faire exister un ouvrage indépendant. J'ai autopublié mon roman pour être certaine qu'il existe. Je ne voulais pas que la réalité de ce projet soit tributaire de la validation d'une maison.

Par quelle solution êtes-vous passée ? Quels sont les avantages de l’auto-édition par rapport à l’édition traditionnelle, quels sont ses inconvénients ?

Personnellement, j'ai choisi la plateforme d'autoédition Librinova. D'autres amis auteurs choisissent des solutions alternatives.


Dans tous les cas, à mon sens, l'avantage principal de l'autoédition est la rapidité avec laquelle votre projet littéraire devient réalité. L'auteur autoédité est également seul décisionnaire concernant la couverture de son ouvrage, son titre, son format, son prix. Les droits d'auteurs sont plus importants qu'en édition classique.


En revanche, l'auteur autoédité doit porter de multiples casquettes, démarcher seul les blogueurs, chroniqueurs, salons, libraires, la presse. Il ne bénéficie pas d'un réseau professionnel... L'auteur est le seul ambassadeur de son livre et le temps dévolu à la promotion est très important. De plus, les prix littéraires sont quasiment inexistants pour les auteurs autoédités hormis le formidable Prix des Auteurs Inconnus. Le monde de l'autoédition se heurte encore à de nombreux préjugés concernant la qualité littéraire des ouvrages. Un auteur autoédité aura la plus grande peine du monde à trouver un journal qui lui consacre quelques lignes. Très peu de libraires, de chroniqueurs influents, de journalistes trouvent le temps de lire des ouvrages issus de l'autoédition, le volume d'ouvrages édités étant déjà très lourd.

Votre livre a dépassé les mille ventes chez Librinova et la centaine de critiques sur Babelio. Que mettez-vous en place pour vous faire connaître ?

J'ai sollicité dans un premier temps tous mes cercles : familial, amical, de loisirs et professionnel. Certaines personnes de ces cercles privés se sont révélées de formidables ambassadeurs de Lumière... et continuent de l'être.


J'ai fait référencer Lumière sur le site Babelio où j'ai eu la chance de pouvoir échanger avec de nombreux lecteurs ouverts à de nouvelles plumes. Bien sûr, en tant que membre auteur, je devais également chroniquer mes coups de cœur pour permettre aux autres de me découvrir à travers mes lectures. J'ai envoyé Lumière en service presse à ces membres passionnés de littérature. Les premiers retours ont été magiques et m'ont permis de trouver d'autres lecteurs désireux de me lire. Petit à petit, les chroniques ont suscité l'intérêt et les premières ventes de lecteurs sur le site. Je tiens à remercier très chaleureusement ces premiers membres qui m'ont offert l'opportunité d'exister sur Babelio. J'ai eu la même démarche sur Instagram.


J'ai modulé le prix numérique de Lumière sur des périodes courtes pour compenser certaines contraintes (mon livre est paru trois semaines avant le premier confinement alors que je n'avais encore aucune activité sur les réseaux sociaux. Pendant le premier confinement, certaines maisons d'édition ont mis en lecture gratuite de très nombreux ouvrages numériques classiques).


J'ai appris à communiquer au sujet de Lumière (et de mes lectures) sur plusieurs réseaux sociaux : Facebook et Instagram, et je fais du mailing de temps en temps.


J'ai contacté des blogueurs, instagrameurs littéraires, chroniqueurs radio, libraires. J'ai eu la chance de croiser la route de deux libraires formidables (Mille Paresses), d'instagrameurs actifs dans des cercles de lecture ou dans la vie littéraire de leur commune, de Marie-Blanche Cordou, autrice et chroniqueuse littéraire d'ouvrages régionaux sur Radio France Bleu Provence et sur TV Sud.


J'ai rencontré d'autres auteurs dont certains sont devenus des amis. J'ai relayé leur actualité et ils ont relayé la mienne. Un auteur autoédité est plus fort lorsqu'il trouve une communauté d'auteurs amis avec qui partager car l'autoédition requiert beaucoup de persévérance. Les conseils, la solidarité, les encouragements d'autres auteurs sont précieux pour ne pas se sentir seul.


J'ai participé et participe à des salons pour rencontrer de nouveaux lecteurs.

Quels conseils donneriez-vous à un auteur qui souhaiterait s'autoéditer, notamment pour lui éviter des écueils dans lesquels vous êtes peut-être tombée ?


Je lui conseillerais de soigner sa première et sa quatrième de couverture. D'être d'une grande exigence orthographique (quitte à se tourner vers les services professionnels d'un correcteur), de choisir un mode d'autoédition qui permette à l'ouvrage d'être commandé très aisément (référencement de l'ouvrage sur les grands sites de vente en ligne ou en librairies physiques), de jouer la carte locale lorsque c'est possible (je suis marseillaise, ce qui n'est pas forcément un atout pour démarcher la presse ou pour m'intégrer à des événements culturels. En revanche, les auteurs autoédités que je connais et qui habitent des communes plus petites peuvent beaucoup plus aisément trouver une porte ouverte dans les journaux locaux, de plus petit tirage mais avec un véritable impact).


Je lui conseillerais de référencer son ouvrage sur les sites de partage de lectures ; de prévoir des services presse, de relayer son actualité sur les réseaux sociaux (avoir une communauté web est un atout indéniable) par mail, de mobiliser toutes ses connaissances, de s'entourer (pour les moments de doute et les premières victoires à partager), de contacter les librairies de son quartier ou de sa commune, les blogueurs, chroniqueurs...


Je lui conseillerais de soigner son pitch lorsqu'il évoque son roman. "C'est une belle histoire avec beaucoup d'émotions, du rire et des larmes" ne suffira pas !


Un écueil à éviter (dans lequel je suis tombée) : distribuer des flyers du roman à la sortie de lieux culturels ! Cela n'a aucun effet ;-)

Et pour conclure... Avez-vous un autre livre en tête, un autre projet d’écriture ?


Lumière a reçu un accueil magique sur Babelio, sur Instagram, sur de nombreux blogs, à la radio et même à la télévision... cet accueil formidable et cette reconnaissance de passionnés de littérature m'ont évidemment donné envie de replonger dans l'écriture. La promotion d'un roman indépendant requiert une énergie folle car un roman autoédité n'est pas porté par une équipe de professionnels dotés de réseaux et d'outils de communication. Ce travail de longue haleine est chronophage. Actuellement, je travaille sur deux projets plus courts de littérature jeunesse, un que je réalise seule et un autre pour lequel je collabore avec une jeune illustratrice de talent. Je pense en revanche pouvoir écrire un deuxième roman l'an prochain.