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Parcours inspirants #10 : Cathy Borie et Frédérique Hoy
20 mai 2020
Cathy Borie (dont j’ai déjà parlé dans le club) et Frédérique Hoy sont deux auteures « hybrides » (tantôt éditées, tantôt auto-éditées), qui ont déjà une œuvre riche, variée…. et primée : Cathy a obtenu le prix Draftquest / Librinova en 2017 pour Dans la chair des anges, et Frédérique, le Prix des Auteurs Inconnus 2018 pour Devine qui est mort ?.

Leurs derniers romans, L’histoire d’Ana et Devine qui est mort ?, m’ont tous deux passionnée. Ils mettent de fines analyses psychologiques au service de l’analyse de situations de violences faites aux femmes. De quoi avoir envie de les faire dialoguer !

Leurs livres n’ont pas que des points communs, bien sûr. Pourtant, il est frappant que souvent, les propos de l’une peuvent laisser penser que l’autre aurait pu les endosser… « L’âme humaine me fascine, cet inconscient qui la gouverne, et qui se lit entre les lignes », dit l’une ; « je regarde les âmes et je raconte ce qu’on en voit et ce qu’on n’en voit pas… », affirme l’autre. De fait, ce sont toutes deux de grandes observatrices des profondeurs qui nous gouvernent, et leur interview croisée s’est avéré passionnant.

Bien sûr, elles ont aussi abordé leur parcours d’écrivain et leurs expériences respectives de l’auto-édition. Découvrez-les, et guettez le concours que nous lancerons la semaine prochaine pour faire gagner simultanément leurs deux derniers livres !
Cathy Borie et Frédérique Hoy sont deux auteures passées par l’auto-édition, dont les livres ont de nombreux points communs : une manière délicate de parler de sentiments, une profondeur dans leur analyse de nos zones d’ombre, un parti-pris naturellement féministe dans leur manière de mettre des femmes complexes au centre de leurs livres… Elles ont aussi toutes les deux le sens de la chute, mais c’est pourtant là que réside une de leurs différences, car il est difficile d’imaginer fins de romans plus différentes que celle de Devine qui est mort, et de L’histoire d’Ana : la manière de mêler réalité et symboles relève de choix presque antagonistes. C’est parti pour une conversation sur leur parcours, leur rapport à l’écriture et la publication !

Cathy, Frédérique, vous êtes deux auteures avec de nombreux points communs…

CATHY. J’ai un DEUG de Psycho, j’ai été enseignante en primaire puis écrivain public. Mon « passage » de plus de 30 ans par l’Éducation Nationale a surtout joué dans la confiance procurée pour l’acte d’écriture, la maîtrise de l’outil. Je savais que j’étais capable de manier l’écriture de façon correcte et efficace, sans fautes, sans difficulté technique. J’avais au moins cette légitimité-là !

FRÉDÉRIQUE. Moi aussi je suis passée par la case Éducation Nationale (ah, on me souffle que j’y suis encore…). Difficile de quitter l’école quand elle nous a tant apporté… La transmission de la littérature est donc mon autre métier. Mais si, comme Cathy, connaître les « codes » de la langue française m’est apparu comme une forme de légitimité, j’ai dû faire un sacré travail de lâcher-prise, car on n’écrit pas un roman comme on écrit une dissertation ! Il faut savoir, d’un point de vue concret, se libérer de la logique linguistique et laisser plus de place au « cœur », aux émotions.

CATHY. Tout à fait d’accord avec toi ! C’est là que réside le plus gros travail, apprendre à utiliser l’outil pour le laisser exprimer le beau, ou en tout cas l’intériorité. Un peu comme les danseurs classiques qui maitrisent parfaitement la technique et n’en laissent transparaitre que la grâce…

Vous avez donc toutes les deux un métier qu’on imagine basé sur le goût de la lecture et de l’écriture.

CATHY. La lecture est essentielle pour l’écriture, en tout cas pour moi, elle la nourrit, créant sans cesse des passerelles avec la vraie vie, les rêves, et toutes les autres sources d’inspiration.

FRÉDÉRIQUE. Pour moi aussi, la lecture est primordiale ; je suis lectrice avant d’être auteur. Mais je ne fais pas les deux en même temps. J’alterne les phases de lecture tranquille et les phases d’écriture intense… ou l’inverse.

Aujourd’hui, alors, que lisez-vous en priorité ?

FRÉDÉRIQUE. Les études de Lettres m’ont naturellement plongée dans les textes classiques que je prends toujours plaisir à relire (ma préférence allant aux auteurs réalistes du XIXème). Mais j’aime aussi la littérature contemporaine (à l’exception de la science-fiction qui ne m’attire pas).

Plus généralement, si j’aime les belles histoires, je me délecte surtout de belles écritures, c’est-à-dire d’écritures joueuses, d’écritures poétiques qui touchent les sens (- l’essence ?). Les écritures où, pour citer Baudelaire, « les couleurs et les sons se répondent ».

J’aime l’écriture poétique d’Andrée Chédid, la sensibilité pudique de l’écrivaine japonaise Ito Ogawa. J’aime les ambiances mélancoliques d’Olivier Adam, les personnages colorés de Valérie Perrin. Dans un autre style, j’aime Lydie Salvayre, et Amélie Nothomb, toujours dans l’exploration de l’intime, pour leur originalité, leur vision de l’humanité et leur humour. C’est important, l’humour. J’aime aussi les auteurs qui « éveillent » la conscience. Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal m’a bouleversée…

CATHY. Je dirais la même chose, mais dans l’autre sens : spontanément, je lis plutôt du contemporain, français ou étranger (Margaret Atwood, John Irving, Marcus Malte, Leïla Slimani, Jérôme Ferrari, Haruki Murakami) mais quelques classiques reviennent de temps en temps ponctuer mes lectures selon les occasions, certains que j’ai déjà lus il y a longtemps, d’autres que l’on m’a offerts en Pléiade et que je déguste par petits morceaux (Virginia Woolf, Kundera, Dostoïevski, etc.).

Ces univers dessinent un paysage assez éclectique pour chacune. Et si j’abordais la question autrement, en m’adressant cette fois à votre identité d’auteures… De l’univers de quel auteur aimeriez-vous qu’on vous dise proches ?

CATHY. Difficile question… Les premières qui me viennent à l’esprit sont Delphine de Vigan et Cécile Coulon. Parce qu’elles sont très contemporaines et que leur écriture me touche.

FRÉDÉRIQUE. Bien que je sois une femme, je trouverais très flatteur d’être comparée à David Foenkinos dont j’apprécie la fausse légèreté, l’humour et la sensibilité.

Et les auteurs auto-édités... est-ce que vous en lisez aussi ?

CATHY. Oui ! Certes, je reconnais que c’est l’édition classique qui fournit mes bibliothèques. Mais depuis que j’ai essayé l’auto-édition, je me suis intéressée aux autres auteurs auto-édités, et il y a de belles surprises. Ainsi, c’est grâce à l’autoédition que j’ai découvert Devine qui est mort, de Frédérique, roman que je ne pouvais qu’apprécier, ceci pour plusieurs raisons : la qualité de l’écriture, précise et délicate, les allers et retours entre passé et présent, très finement menés, le thème des secrets de famille, qui m’est cher, en sont quelques exemples.

FRÉDÉRIQUE. J’apprécie aussi le style de plusieurs auteurs auto-édités : Marie Jousse qui a l’art de faire surgir tout un monde de petites phrases mordantes ; Catherine Choupin dont l’humour et la culture littéraire me réjouissent, la sensibilité de Frédéric Brusson, la fantaisie de Romain Lebastard, l’audace littéraire d’un Frédéric Soulier (quel phénomène celui-là !)… La liste n’est vraiment pas exhaustive. J’ai justement découvert Cathy par ce réseau d’auteurs auto-édités, et j’ai lu d’elle Dans la chair des anges, magnifique roman sur la quête de soi publié aux Carnets Nord. Un roman qui s’est révélé bien loin des évidences un peu caricaturales que j’avais à l’esprit sur le sujet (je ne peux pas trop en dire) et qui m’a vraiment émue… J’ai sauté sur l’occasion de faire une interview croisée avec elle !

Cathy, sur la question du support de lecture, papier ou numérique, vous nous aviez dit que « c’est le texte qui compte et pas le support ». Le confinement a rendu ce constat encore plus d’actualité !

CATHY. C’est sûr. Le confinement récent a prouvé que le numérique peut être un recours absolument indispensable pour les grands lecteurs : d’ailleurs, mon iPhone s’est énormément rempli de nouveaux ebooks pendant cette période ! Ça ne m’empêche pas de remplir mes étagères de livres papier dès que j’ai l’occasion, et même le confinement n’a pas suffi à m’arrêter : la librairie d’Ajaccio a organisé un système de drive dont j’ai bien profité !

FRÉDÉRIQUE. En ce qui concerne le support, j’ai longtemps été réfractaire au numérique. Par amour du livre, de son corps, par fidélité ou bien par habitude. Mais j’ai quand même fini par me mettre à la liseuse, pour des raisons pratiques (exit la valise de livres pour les vacances ! Vive la lecture dans le noir au lit !) et je dois avouer que j’y ai pris goût. Le confinement n’a fait que renforcer cette tendance. Heureusement que nous avions cette possibilité ! En fait, je dirais qu’un format n’exclut pas l’autre. Il m’arrive assez souvent d’acheter l’ebook de romans que j’aime avoir dans ma bibliothèque…

Parlons de vos derniers livres. Devine qui est mort (de Frédérique), et L’histoire d’Ana (de Cathy), sont deux romans où les analyses psychologiques sont mises au service de l’analyse de situations de violences faites aux femmes…

FRÉDÉRIQUE. Devine qui est mort ? est un roman psychologique. Ne pas se fier au titre qui est une sorte de gimmick ;). C’est l’histoire d’une flûtiste de renommée internationale, Albane de Morange, qui a, du moins en apparence une vie réglée comme du papier à musique (un homme qui l’aime et qui partage sa passion, des amis, un appartement chic à Paris). Sauf qu’un jour, en plein concert, la mélodie s’arrête. Suite à cet épisode tragique de sa vie, elle va décider de renouer les liens avec les acteurs d’un passé qu’elle n’a jamais eu le courage d’affronter. C’est un peu la revanche d’une femme, oui.

Ce roman occupe une place à part. Peut-être parce que, sans être vraiment autobiographique, il porte beaucoup de ce que je suis en tant que femme. Je ne l’ai pas calculé, cela s’est imposé ainsi.

CATHY. De mon côté, c’est vrai, L’Histoire d’Ana est un roman psychologique à « dominante sociale », car les personnages se construisent dans un cadre assez précis. Ce qui m’intéresse c’est d’évoquer des sujets de société au travers d’un individu et de son parcours propre. C’est peut-être une autre façon de militer contre ces violences faites aux femmes ! Dans ma jeunesse j’ai fait partie des Groupes Femmes et des manifestations pour le droit à l’avortement, dans mon âge mûr je préfère mettre ces femmes au cœur d’histoires sans doute inventées mais qui sont aussi la réalité de certaines.

Ce sont deux romans qui ont aussi en commun d’être très personnels, alors. Diriez-vous qu’il y a un univers qui vous a inspirées ?

FRÉDÉRIQUE. Je m’inspire de choses simples, de la vie autour de moi, des gens que je croise, de leurs émotions, brutes ou filtrées, de leurs rêves. L’âme humaine me fascine, cet inconscient qui la gouverne, et qui se lit entre les lignes.

CATHY. Comme Frédérique, cette âme humaine et ce qui en transparait, mais aussi ce qui s’y cache, est une perpétuelle source d’inspiration. Regarder autour de soi, c’est comme une habitude que je n’ai jamais perdue depuis mon enfance : la nuit, quand un train ou une voiture roule, pas trop vite, apercevoir par les fenêtres l’intérieur des maisons et des appartements allumés, et s’imaginer qui vit là, comment, combien, pourquoi… C’est ce que je fais en écrivant : je regarde les âmes et je raconte ce qu’on en voit et ce qu’on n’en voit pas…

Vous avez auto-édité ces romans. Pourquoi ce choix ?

FRÉDÉRIQUE. Je crois que le maître mot est « liberté ». L’autoédition me permet l’incroyable liberté d’écrire dans des genres différents. Et un jour disparaître et Lune ou l’autre sont des thrillers, des romans noirs ; Devine qui est mort ? plus un roman psychologique et Un jour, mon prince père viendra, plutôt une comédie dramatique. Quant à Origami d’un cœur, je l’ai voulu comme un conte moderne. Autant de genres qui correspondent, je crois, à différentes phases du développement de ma personnalité d’auteur… Je n’ai pas à m’enfermer dans une catégorie. Et le lecteur, de son côté, peut découvrir mon style à travers un genre qu’il aime.

La liberté se situe aussi dans certains choix (par exemple, aucun éditeur n’aurait laissé Et un jour disparaître se terminer comme il se termine ; j’assume totalement ce parti-pris, d’autant que je suis dans l’écriture de la suite qui justifie cette fin…

L’autoédition est une formidable opportunité. Et, si pour moi elle concerne surtout le format numérique car c’est surtout du numérique que je vends, toujours via Amazon KDP qui valorise le travail des auteurs, elle offre un rapport beaucoup plus direct avec le lectorat. J’ai fait de très belles rencontres - virtuelles et dans la réalité - grâce à l’écriture et à l’autoédition : rencontre avec des lecteurs, avec des blogueurs, avec des auteurs qui sont devenus des amis.

Il faut cependant savoir que l’entreprise requiert un important investissement, en termes de temps et d’énergie, pour avoir de la visibilité sur la toile (notamment lors de la promotion d’un roman), mais le jeu en vaut la chandelle.

CATHY. J’ai déjà raconté la manière dont je suis venue à l’auto-édition pour mes romans, en cherchant une solution qui les rende plus visibles, à la fois d'un lectorat et des éditeurs. Mon idée n’était pas de devenir auteure indépendante, mais de trouver un chemin vers l’édition traditionnelle. Je l’ai trouvé pour Dans la chair des anges, en passant par Librinova, dont j’ai bénéficié du programme agent. Ma maison d’édition, Carnets Nord, a hélas fait faillite. Or, L’Histoire d’Ana aurait dû être publié en janvier 2020 par ce même éditeur. Et laisser ce livre mourir sans avoir vécu était un crève-cœur, il était prêt à prendre son envol, corrigé, abouti : c’est Andrea, mon agent littéraire, qui m’a conseillé de le publier chez Librinova.

C’est donc un nouvel avantage à l’auto-édition que je suis en train de découvrir : faire vivre un texte malgré les aléas économiques du monde de l’édition. Du moins, lui donner une chance : je ne sais pas encore le succès qu’il aura, ou pas, mais au moins il a une vraie chance d’être lu ! Ensuite, dans cette période de confinement où tout est l’arrêt, autopublier permet de continuer à produire des livres, ce qui ne veut pas dire que l’on se coupe des maisons d’édition traditionnelles, qui peuvent toujours piocher dans les sorties autoéditées. Cela crée une sorte de passerelle entre deux mondes qui en fait ne sont pas si différents.

Il est vrai que l’auto-édition s’est avérée être un tremplin, pour toutes les deux, puisque vous êtes lauréates de concours ou de prix littéraires destinés à repérer des auteurs auto-édités. C’est d’ailleurs comme ça que je vous ai connues, l’une et l’autre. Est-ce que vous pouvez en dire plus sur ce que ces prix ont changé pour vous ?

FRÉDÉRIQUE. J’ai eu l’honneur d’être lauréate, l’année dernière, du Prix des Auteurs Inconnus (https://www.prixdesauteursinconnus.com/). Quand je le dis à l’école, on moque gentiment parce qu’un PAI dans le milieu scolaire c’est un Projet d’Accueil Individualisé ! N’empêche que le PAI, c’est surtout une belle distinction dans le milieu de l’auto-édition ! Ce prix m’a particulièrement touchée parce que la sélection est rude (Le superbe roman de Laurence Martin, L’eau de Rose, était également finaliste dans la catégorie Blanche), parce que je sais l’exigence des lectrices qui composent le jury, parce que ce prix est arrivé dans un moment de découragement, comme « un signe » que je devais continuer à écrire pour les autres aussi. Indépendamment de cela, les retours critiques dont a bénéficié mon roman tout au long du prix, ont contribué à élargir mon lectorat, et ont permis de belles rencontres. J’en suis vraiment très heureuse, très fière, et j’en remercie encore Julie Perrier (du blog https://julitlesmots.com) et Virginie Wicke (du blog https://www.book.beltanesecret.com), les organisatrices.

CATHY. Pour ma part, c’est le premier prix du concours Draftquest-Librinova que j’ai eu la joie d’obtenir en 2017. Draftquest est une plateforme d’ateliers d’écriture virtuelle (https://www.draftquest.fr), animée par David Meulemans, l’éditeur des éditions Aux forges de Vulcain. C’est un MOOC au cours duquel on écrit un livre en échangeant avec la communauté des auteurs qui participent en même temps. Mon premier prix m’a ouvert les portes du programme agent littéraire de Librinova, grâce auquel mon roman a rapidement été édité. Je précise que ces MOOC sont toujours d’actualité ainsi que les vidéos de Martin Winckler avec ses conseils d’écriture (https://wincklersblog.blogspot.coom/2017/08/cinq-videos-pour-ecrivantes-par-martin.html?m=1) : ça a été un vrai tournant pour moi que cette idée qu’écrire s’apprend, même si le terrain avait été un peu préparé par ma lecture récente de La dramaturgie de Yves Lavandier. Etonnamment, une autre dynamique s’est mise en place, avec la certitude qu’on peut apprendre et progresser chaque jour.

Au-delà des portes que vous ont ouvertes ces prix, vous avez donc des parcours très différents dans l’auto-édition, avec notamment des choix différents de solution (KDP vs. Librinova), et d’attentes (la liberté du statut d’indépendant vs. le pont vers l’édition traditionnelle).

FRÉDÉRIQUE. Oui et non ! Car figurez-vous que mon parcours dans l’autoédition, je le dois paradoxalement à un éditeur du Sud-Ouest qui se nomme Julien Leclercq et qui, avec sa compagne Lucie Brasseur, est le premier à avoir eu confiance en mes textes. Il a publié un de mes romans à 15000 exemplaires dans une version poche (Lune ou l’autre, aux éditions Yakabook). Sans eux, je n’aurais jamais osé franchir le cap de la publication. J’avais besoin d’un regard extérieur et professionnel, d’une certaine forme de légitimité… Depuis, cette légitimité, j’ai appris à la recevoir des lecteurs, toujours bienveillants, et, de plus en plus, à la trouver en moi. Il m’est arrivé de refuser de signer avec des maisons d’édition qui ne me correspondaient pas, dont la diffusion était trop problématique. L’auto édition peut être un choix. Bien sûr, si l’éditeur (parisien) que j’aime, me proposait un contrat, j’en serais heureuse. En attendant (Godot ?), je vis ma vie d’auteur en toute sérénité.

CATHY. Comme quoi les frontières entre l’auto-édition et l’édition ne sont jamais étanches, quelle que soit la solution vers laquelle on se tourne… Ton parcours, Frédérique, me fait penser à la manière dont j’en suis venue à Draftquest : un de mes premiers livres, La nuit des éventails, a été publié en 2015 dans une très petite maison d’édition, La Rémanence. J’en suis fière, il y est toujours et je suis de près le parcours de cette maison, qui se développe avec un beau catalogue de nouveaux auteurs. Mais c’est justement son éditrice qui m’a incitée à chercher à élargir mes horizons. Finalement, quand on est auteur, le monde des livres apparaît comme une sorte de continuum de l’édition indépendante à l’édition classique dans un grand groupe, en passant par toutes les tailles de maisons indépendantes. Et nos histoires, à Frédérique et moi, montrent qu’on peut y faire des allers et retours.

Alors quels conseils donneriez-vous à un auteur qui souhaiterait se faire auto-éditer… ou éditer, d’ailleurs ?

CATHY. Compte tenu du rôle crucial qu’a joué Librinova pour moi, je ne peux qu’inciter inlassablement à se tourner vers cette solution ! Mais il y a un autre aspect qui est très important, c’est qu’il faut être attentif à tirer des leçons au fur et à mesure qu'on voit fonctionner les services payants, de façon à apprendre à s'en passer… et à passer la main aux auteurs suivants, comme nous le faisons maintenant !

FRÉDÉRIQUE. Chacun doit trouver sa voie. Je n’ai aucun véritable conseil à donner, si ce n’est celui d’être patient et de bien travailler ses textes. Avoir des choses à dire est une chose, le dire avec ses tripes et dans une langue impeccable, en est une autre. Je n’ai pas la prétention d’y être parvenue - j’ai parfois envie de tout jeter - mais c’est cette ambition artistique qu’on ne doit pas lâcher des yeux, du moins je crois. Concernant la pratique de l’auto-édition, il faut savoir observer ceux qui ont plus d’expérience et ne pas hésiter à poser des questions. Il n’y a pas que des auteurs sympas dans ce petit monde, bien sûr, mais on y trouve quand même une belle solidarité. Je suis bien d’accord avec tes mots, Cathy : « passer la main », c’est vraiment important !
Ces univers dessinent un paysage assez éclectique pour chacune. Et si j’abordais la question autrement, en m’adressant cette fois à votre identité d’auteures… De l’univers de quel auteur aimeriez-vous qu’on vous dise proches ?

CATHY.
Difficile question… Les premières qui me viennent à l’esprit sont Delphine de Vigan et Cécile Coulon. Parce qu’elles sont très contemporaines et que leur écriture me
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FRÉDÉRIQUE.
Bien que je sois une femme, je trouverais très flatteur d’être comparée à David Foenkinos dont j’apprécie la fausse légèreté, l’humour et la sensibilité.

Et les auteurs auto-édités... est-ce que vous en lisez aussi ?

CATHY.
Oui ! Certes, je reconnais que c’est l’édition classique qui fournit mes bibliothèques. Mais depuis que j’ai essayé l’auto-édition, je me suis intéressée aux autres auteurs auto-édités, et il y a de belles surprises. Ainsi, c’est grâce à l’autoédition que j’ai découvert Devine qui est mort, de Frédérique, roman que je ne pouvais qu’apprécier, ceci pour plusieurs raisons : la qualité de l’écriture, précise et délicate, les allers et retours entre passé et présent, très finement menés, le thème des secrets de famille, qui m’est cher, en sont quelques
exemples.
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FRÉDÉRIQUE.
J’apprécie aussi le style de plusieurs auteurs auto-édités : Marie Jousse qui a l’art de faire surgir tout un monde de petites phrases mordantes ; Catherine Choupin dont l’humour et la culture littéraire me réjouissent, la sensibilité de Frédéric Brusson, la fantaisie de Romain Lebastard, l’audace littéraire d’un Frédéric Soulier (quel phénomène celui-là !)… La liste n’est vraiment pas exhaustive. J’ai justement découvert Cathy par ce réseau d’auteurs auto-édités, et j’ai lu d’elle Dans la chair des anges, magnifique roman sur la quête de soi publié aux Carnets Nord. Un roman qui s’est révélé bien loin des évidences un peu caricaturales que j’avais à l’esprit sur le sujet (je ne peux pas trop en dire) et qui m’a vraiment émue… J’ai sauté sur l’occasion de faire une interview croisée avec elle !

Cathy, sur la question du support de lecture, papier ou numérique, vous nous aviez dit que « c’est le texte qui compte et pas le support ». Le confinement a rendu ce constat encore plus d’actualité !

CATHY.
C’est sûr. Le confinement récent a prouvé que le numérique peut être un recours absolument indispensable pour les grands lecteurs : d’ailleurs, mon iPhone s’est énormément rempli de nouveaux ebooks pendant cette période ! Ça ne m’empêche pas de remplir mes étagères de livres papier dès que j’ai l’occasion, et même le confinement n’a pas suffi à m’arrêter : la librairie d’Ajaccio a organisé un système de drive dont j’ai bien profité !

FRÉDÉRIQUE.
En ce qui concerne le support, j’ai longtemps été réfractaire au numérique. Par amour du livre, de son corps, par fidélité ou bien par habitude. Mais j’ai quand même fini par me mettre à la liseuse, pour des raisons pratiques (exit la valise de livres pour les vacances ! Vive la lecture dans le noir au lit !) et je dois avouer que j’y ai pris goût. Le confinement n’a fait que renforcer cette tendance. Heureusement que nous avions cette possibilité ! En fait, je dirais qu’un format n’exclut pas l’autre. Il m’arrive assez souvent d’acheter l’ebook de romans que j’aime avoir dans ma bibliothèque…

Parlons de vos derniers livres. Devine qui est mort (de Frédérique), et L’histoire d’Ana (de Cathy), sont deux romans où les analyses psychologiques sont mises au service de l’analyse de situations de violences faites aux femmes…

FRÉDÉRIQUE.
Devine qui est mort ? est un roman psychologique. Ne pas se fier au titre qui est une sorte de gimmick ;). C’est l’histoire d’une flûtiste de renommée internationale, Albane de Morange, qui a, du moins en apparence une vie réglée comme du papier à musique (un homme qui l’aime et qui partage sa passion, des amis, un appartement chic à Paris). Sauf qu’un jour, en plein concert, la mélodie s’arrête. Suite à cet épisode tragique de sa vie, elle va décider de renouer les liens avec les acteurs d’un passé qu’elle n’a jamais eu le courage d’affronter. C’est un peu la revanche d’une femme,
oui.
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Ce roman occupe une place à part. Peut-être parce que, sans être vraiment autobiographique, il porte beaucoup de ce que je suis en tant que femme. Je ne l’ai pas calculé, cela s’est imposé ainsi.
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CATHY.
De mon côté, c’est vrai, L’Histoire d’Ana est un roman psychologique à « dominante sociale », car les personnages se construisent dans un cadre assez précis. Ce qui m’intéresse c’est d’évoquer des sujets de société au travers d’un individu et de son parcours propre. C’est peut-être une autre façon de militer contre ces violences faites aux femmes ! Dans ma jeunesse j’ai fait partie des Groupes Femmes et des manifestations pour le droit à l’avortement, dans mon âge mûr je préfère mettre ces femmes au cœur d’histoires sans doute inventées mais qui sont aussi la réalité de
certaines.
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Ce sont deux romans qui ont aussi en commun d’être très personnels, alors. Diriez-vous qu’il y a un univers qui vous a inspirées ?

FRÉDÉRIQUE.
Je m’inspire de choses simples, de la vie autour de moi, des gens que je croise, de leurs émotions, brutes ou filtrées, de leurs rêves. L’âme humaine me fascine, cet inconscient qui la gouverne, et qui se lit entre les
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CATHY.
Comme Frédérique, cette âme humaine et ce qui en transparait, mais aussi ce qui s’y cache, est une perpétuelle source d’inspiration. Regarder autour de soi, c’est comme une habitude que je n’ai jamais perdue depuis mon enfance : la nuit, quand un train ou une voiture roule, pas trop vite, apercevoir par les fenêtres l’intérieur des maisons et des appartements allumés, et s’imaginer qui vit là, comment, combien, pourquoi… C’est ce que je fais en écrivant : je regarde les âmes et je raconte ce qu’on en voit et ce qu’on n’en voit pas…

Vous avez auto-édité ces romans. Pourquoi ce choix ?

FRÉDÉRIQUE.
Je crois que le maître mot est « liberté ». L’autoédition me permet l’incroyable liberté d’écrire dans des genres différents. Et un jour disparaître et Lune ou l’autre sont des thrillers, des romans noirs ; Devine qui est mort ? plus un roman psychologique et Un jour, mon prince père viendra, plutôt une comédie dramatique. Quant à Origami d’un cœur, je l’ai voulu comme un conte moderne. Autant de genres qui correspondent, je crois, à différentes phases du développement de ma personnalité d’auteur… Je n’ai pas à m’enfermer dans une catégorie. Et le lecteur, de son côté, peut découvrir mon style à travers un genre qu’il
aime.
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La liberté se situe aussi dans certains choix (par exemple, aucun éditeur n’aurait laissé Et un jour disparaître se terminer comme il se termine ; j’assume totalement ce parti-pris, d’autant que je suis dans l’écriture de la suite qui justifie cette fin…

L’autoédition est une formidable opportunité. Et, si pour moi elle concerne surtout le format numérique car c’est surtout du numérique que je vends, toujours via Amazon KDP qui valorise le travail des auteurs, elle offre un rapport beaucoup plus direct avec le lectorat. J’ai fait de très belles rencontres - virtuelles et dans la réalité - grâce à l’écriture et à l’autoédition : rencontre avec des lecteurs, avec des blogueurs, avec des auteurs qui sont devenus des amis.
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Il faut cependant savoir que l’entreprise requiert un important investissement, en termes de temps et d’énergie, pour avoir de la visibilité sur la toile (notamment lors de la promotion d’un roman), mais le jeu en vaut la chandelle.
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CATHY.
J’ai déjà raconté la manière dont je suis venue à l’auto-édition pour mes romans, en cherchant une solution qui les rende plus visibles, à la fois d'un lectorat et des éditeurs. Mon idée n’était pas de devenir auteure indépendante, mais de trouver un chemin vers l’édition traditionnelle. Je l’ai trouvé pour Dans la chair des anges, en passant par Librinova, dont j’ai bénéficié du programme agent. Ma maison d’édition, Carnets Nord, a hélas fait faillite. Or, L’Histoire d’Ana aurait dû être publié en janvier 2020 par ce même éditeur. Et laisser ce livre mourir sans avoir vécu était un crève-cœur, il était prêt à prendre son envol, corrigé, abouti : c’est Andrea, mon agent littéraire, qui m’a conseillé de le publier chez
Librinova.
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C’est donc un nouvel avantage à l’auto-édition que je suis en train de découvrir : faire vivre un texte malgré les aléas économiques du monde de l’édition. Du moins, lui donner une chance : je ne sais pas encore le succès qu’il aura, ou pas, mais au moins il a une vraie chance d’être lu ! Ensuite, dans cette période de confinement où tout est l’arrêt, autopublier permet de continuer à produire des livres, ce qui ne veut pas dire que l’on se coupe des maisons d’édition traditionnelles, qui peuvent toujours piocher dans les sorties autoéditées. Cela crée une sorte de passerelle entre deux mondes qui en fait ne sont pas si différents.
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Il est vrai que l’auto-édition s’est avérée être un tremplin, pour toutes les deux, puisque vous êtes lauréates de concours ou de prix littéraires destinés à repérer des auteurs auto-édités. C’est d’ailleurs comme ça que je vous ai connues, l’une et l’autre. Est-ce que vous pouvez en dire plus sur ce que ces prix ont changé pour vous ?

FRÉDÉRIQUE.
J’ai eu l’honneur d’être lauréate, l’année dernière, du Prix des Auteurs Inconnus (
https://www.prixdesauteursinconnus.com/). Quand je le dis à l’école, on moque gentiment parce qu’un PAI dans le milieu scolaire c’est un Projet d’Accueil Individualisé ! N’empêche que le PAI, c’est surtout une belle distinction dans le milieu de l’auto-édition ! Ce prix m’a particulièrement touchée parce que la sélection est rude (Le superbe roman de Laurence Martin, L’eau de Rose, était également finaliste dans la catégorie Blanche), parce que je sais l’exigence des lectrices qui composent le jury, parce que ce prix est arrivé dans un moment de découragement, comme « un signe » que je devais continuer à écrire pour les autres aussi. Indépendamment de cela, les retours critiques dont a bénéficié mon roman tout au long du prix, ont contribué à élargir mon lectorat, et ont permis de belles rencontres. J’en suis vraiment très heureuse, très fière, et j’en remercie encore Julie Perrier (du blog https://julitlesmots.com) et Virginie Wicke (du blog https://www.book.beltanesecret.com), les organisatrices.
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CATHY.
Pour ma part, c’est le premier prix du concours Draftquest-Librinova que j’ai eu la joie d’obtenir en 2017. Draftquest est une plateforme d’ateliers d’écriture virtuelle (
https://www.draftquest.fr), animée par David Meulemans, l’éditeur des éditions Aux forges de Vulcain. C’est un MOOC au cours duquel on écrit un livre en échangeant avec la communauté des auteurs qui participent en même temps. Mon premier prix m’a ouvert les portes du programme agent littéraire de Librinova, grâce auquel mon roman a rapidement été édité. Je précise que ces MOOC sont toujours d’actualité ainsi que les vidéos de Martin Winckler avec ses conseils d’écriture (https://wincklersblog.blogspot.coom/2017/08/cinq-videos-pour-ecrivantes-par-martin.html?m=1) : ça a été un vrai tournant pour moi que cette idée qu’écrire s’apprend, même si le terrain avait été un peu préparé par ma lecture récente de La dramaturgie de Yves Lavandier. Etonnamment, une autre dynamique s’est mise en place, avec la certitude qu’on peut apprendre et progresser chaque jour.
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Au-delà des portes que vous ont ouvertes ces prix, vous avez donc des parcours très différents dans l’auto-édition, avec notamment des choix différents de solution (KDP vs. Librinova), et d’attentes (la liberté du statut d’indépendant vs. le pont vers l’édition traditionnelle).

FRÉDÉRIQUE.
Oui et non ! Car figurez-vous que mon parcours dans l’autoédition, je le dois paradoxalement à un éditeur du Sud-Ouest qui se nomme Julien Leclercq et qui, avec sa compagne Lucie Brasseur, est le premier à avoir eu confiance en mes textes. Il a publié un de mes romans à 15000 exemplaires dans une version poche (Lune ou l’autre, aux éditions Yakabook). Sans eux, je n’aurais jamais osé franchir le cap de la publication. J’avais besoin d’un regard extérieur et professionnel, d’une certaine forme de légitimité… Depuis, cette légitimité, j’ai appris à la recevoir des lecteurs, toujours bienveillants, et, de plus en plus, à la trouver en moi. Il m’est arrivé de refuser de signer avec des maisons d’édition qui ne me correspondaient pas, dont la diffusion était trop problématique. L’auto édition peut être un choix. Bien sûr, si l’éditeur (parisien) que j’aime, me proposait un contrat, j’en serais heureuse. En attendant (Godot ?), je vis ma vie d’auteur en toute sérénité.

CATHY.
Comme quoi les frontières entre l’auto-édition et l’édition ne sont jamais étanches, quelle que soit la solution vers laquelle on se tourne… Ton parcours, Frédérique, me fait penser à la manière dont j’en suis venue à Draftquest : un de mes premiers livres, La nuit des éventails, a été publié en 2015 dans une très petite maison d’édition, La Rémanence. J’en suis fière, il y est toujours et je suis de près le parcours de cette maison, qui se développe avec un beau catalogue de nouveaux auteurs. Mais c’est justement son éditrice qui m’a incitée à chercher à élargir mes horizons. Finalement, quand on est auteur, le monde des livres apparaît comme une sorte de continuum de l’édition indépendante à l’édition classique dans un grand groupe, en passant par toutes les tailles de maisons indépendantes. Et nos histoires, à Frédérique et moi, montrent qu’on peut y faire des allers et
retours.
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Alors quels conseils donneriez-vous à un auteur qui souhaiterait se faire auto-éditer… ou éditer, d’ailleurs ?

CATHY.
Compte tenu du rôle crucial qu’a joué Librinova pour moi, je ne peux qu’inciter inlassablement à se tourner vers cette solution ! Mais il y a un autre aspect qui est très important, c’est qu’il faut être attentif à tirer des leçons au fur et à mesure qu'on voit fonctionner les services payants, de façon à apprendre à s'en passer… et à passer la main aux auteurs suivants, comme nous le faisons maintenant !

FRÉDÉRIQUE.
Chacun doit trouver sa voie. Je n’ai aucun véritable conseil à donner, si ce n’est celui d’être patient et de bien travailler ses textes. Avoir des choses à dire est une chose, le dire avec ses tripes et dans une langue impeccable, en est une autre. Je n’ai pas la prétention d’y être parvenue - j’ai parfois envie de tout jeter - mais c’est cette ambition artistique qu’on ne doit pas lâcher des yeux, du moins je crois. Concernant la pratique de l’auto-édition, il faut savoir observer ceux qui ont plus d’expérience et ne pas hésiter à poser des questions. Il n’y a pas que des auteurs sympas dans ce petit monde, bien sûr, mais on y trouve quand même une belle solidarité. Je suis bien d’accord avec tes mots, Cathy : « passer la main », c’est vraiment important !